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Politique

29e Cinemania du 1er au 12 novembre 2023 ./* De grandes espérances de Sylvain Desclous (France, 2023)

Sylvain Desclous, réalisateur et scénariste français de plusieurs courts et documentaires, signe le long-métrage De grandes espérances qui puise abondamment dans son parcours universitaire de sciences politiques, lettres et droit. On y suit le parcours de la jeune militante Madeleine, depuis ses vacances en Corse en préparation du grand oral d’admissibilité à l’ENA, où elle se rapproche de l’ex secrétaire d’État et députée socialiste Gabrielle Verclaz, jusqu’aux premiers rebondissements et failles d’une carrière politique prometteuse. Étudiante boursière issue d’un milieu modeste, d’une mère décédée et d’un père absent, le couple qu’elle forme alors avec Antoine, fils d’un riche avocat et beau-fils de Gabrielle, contraste assez vivement avec ses convictions politiques de gauche. L’harmonie implose d’ailleurs rapidement alors qu’un incident de la route vire au drame et leur salit les mains de plusieurs crimes et délits dont ils seront désormais complices et coupables.

Du haut des attentes qu’il créé dès son titre, le film accumule plusieurs déceptions. Pas de paysages corses à tomber par terre, mais des intérieurs d’appartements et paliers qui se promènent entre arrondissements huppés et quartiers moins nantis de Lyon et sa banlieue. Un portrait des classes et de la mobilité sociale somme toute très cliché. Des relations sentimentales et familiales assez naïves et caricaturées. Et un développement et dénouement d’intrigue ultra manichéens, à plusieurs reprises malhonnêtes. Le casting qui rend au départ curieux tombe plutôt à plat, avec les visages lisses de Rebecca Marder dans le rôle de Madeleine, Benjamin Lavernhe en Antoine et Emmanuelle Bercot en Gabrielle (tout de même forte), pris dans des registres étroits d’émotions uniques, l’une la détermination, l’autre la lâcheté, la troisième la méfiance.

Pourtant, dès lors qu’on prête tous les travers de cette histoire et ses ratages successifs (l’accident, la fuite, les mensonges, la traîtrise) au monde politique au cœur de la fiction, le portrait devient un brin plus incisif. Bassesses, jalousies, manipulations, démagogie, corruption, blanchiment, convoitises, accointances douteuses : non seulement les coups les plus tordus sont permis mais ils semblent l’unique façon de progresser vers le haut, en marchant sur les autres. Rien de bien nouveau sous le soleil dans cette vision en noir et blanc, les riches les pauvres, les patrons les employés, les gagnants les perdants, la dichotomie est franchement usée. Cette simplicité à gros traits sied finalement bien à l’esprit utopique de la jeune politicienne qui pense pouvoir révolutionner le système avec ses belles idées soi-disant novatrices. Tandis qu’en face le personnage bien que solide de Gabrielle, secondé par celui de Madeleine en fin de film, démontre que pour défoncer le plafond de verre, qui plus est en tant que femme, pas d’autre choix que de sortir les griffes, adopter la logique patriarcale et dominatrice, voire retourner sa veste et ne surtout pas perdre de vue ses intérêts privés. Ou comme le dit Antoine : “on ne détourne pas un avion sans monter dedans”. Il faut aussi être prêt à s’écraser avec. À jouer un jeu sale, on n’en ressort pas la conscience tranquille.

Les rapports plus ambigus entre Mad et son père sont en quelque sorte une entorse inexpliquée, qui redonne un souffle plus réaliste, dans toute cette romance certes peu glorieuse du système (judiciaire, exécutif, éducatif, entrepreneurial). Le personnage est d’ailleurs le plus crédible dans ses imperfections bourrues, sa franchise et sa confiance primaires. Tandis que les mesures de solidarité sociale en droit du travail que l’arriviste défend avec cœur et une rigueur éclairée dérangent à peine l’ordre établi sur le profit, et n’ont rien de révolutionnaire dans le fonds, peut-être aurait-on gagné en audace en s’éloignant là-aussi de la bien-pensance et en osant l’outrance (loufoque même) au niveau des idéologies, pour s’extraire enfin de la vieille opposition droite/gauche ?