La carpe, l’arc-en-ciel et le combattant

./* À propos de Ma mère est un poisson rouge du Théâtre de l’Avant-Pays présenté par la Maison Théâtre du 27 octobre au 6 novembre. Pour les 6 à 10 ans.

Alors qu’il fête officiellement 40 printemps d’exercice, le Théâtre de l’Avant-Pays montréalais tient à la Maison Théâtre ces jours-ci plusieurs représentations de son spectacle Ma mère est un poisson rouge, écrit en 2013 et mis en scène par la directrice de la compagnie, Marie-Christine Lê-Huu. L’attachante histoire racontée est celle des dix ans du jeune Xavier, à cet âge où les amitiés se forgent, où les réalités adultes atteignent de plein fouet, où il faut se battre pour préserver l’insouciance et le rire face aux crasses de la vie. On y voit donc le garçon dans un tourbillon d’émotions contradictoires, entouré par ses amis Imma et Mika, sa mère de plus en plus absente après la disparition accidentelle du papa, et un dernier personnage fantaisiste, celui de la baka de Mika, grand-mère qui promène un poste de radio déréglé en place de tête, égarée dans la vieillesse.

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Extraits vidéo

Le récit tourne d’ailleurs en grande partie autour de cette métaphore de la tête plus tout à fait à sa place, et de l’effacement des identités dans la douleur, la dépression, la folie ou la colère. Ne se retrouve-t-on pas un peu poisson lorsque la raison submergée d’émotions, on se débat avec ses idées noires dans l’étroitesse de son bocal ? Sur ce même thème, le récent court-métrage d’animation Une tête disparaît de Franck Dion raconte avec poésie une pareille escapade aquatique dans la démence.

La narration est portée par Xavier et ne suit pas un fil linéaire, sinon la confusion de ses souvenirs, des bons moments, son refus du présent et sa fuite dans l’enfance et ses petits mensonges. Ce n’est que par le détour de jeux, d’aveux et de mots échappés que l’on apprendra que son père s’est jeté à l’eau d’un bateau de croisière et noyé, faussement alerté d’un “homme à la mer” à sauver. La culpabilité tisse donc des liens serrés avec le choc de la mort et la tristesse du vide laissé. Chez la maman qui se veut d’abord forte et organise un déménagement, l’existence en boîtes ne rend que plus flagrant ce trou du manque, l’absurdité d’un monde matériel qui rappelle dans ses moindres détails le conjoint qui n’est plus. Les rires et la musique résonnent (Olivier Monette-Milmore à la conception sonore), mais ils ne sont que les fantômes glacés d’un passé heureux, révolu. Qui s’estompe derrière le voile du fond de scène.

Côté scénographie justement (Anne-Marie Bérubé), la pièce est ingénieuse. Tout son mobilier, ses personnages, ses lieux sont construits et modifiés selon l’agencement des boîtes en carton : tantôt chapeau du père, bocal de la mère, maison, ville, tête ou ballon (illustrations de Catherine Côte). Le mal, ça déménage. Les idées ne restent pas en place, il faudrait pouvoir enfermer son désespoir dans un colis à expédier à l’autre bout du monde… Les cartons demeurent là, dans un coin, anonymes et inanimés, mais encombrants. Et puis il y a ce mur de fond, une toile tendue qui sépare la réalité de l’imaginaire et de la mémoire. Dans le noir, c’est un abîme où se perdre, une cloison à laquelle se heurter. Mais dès lors qu’éclairée par la joie (Jeanne L. Fortin aux lumières), la toile devient translucide et laisse se dessiner à sa surface des silhouettes plus que vivantes et dansantes d’une famille dissolue.

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Tous les personnages sont incarnés ou animés par les trois interprètes : Jean-François Pronovost dans le rôle de Xavier, Isabelle Lamontagne jouant son amoureuse Imma de même que sa mère au voile rouge poisson, et Sasha Samar absolument polyvalent dans les rôles de Mika et sa grand-mère. Cette distribution, toute bancale soit-elle, est aussi représentative des caractères de chacun. Imma est plongée dans la discrétion, écrasée par la clownerie extravagante de Mika aux mille inventions, tandis que Xavier oscille entre une candeur enfantine pleine de vitalité et le poids de la honte et du chagrin. Tous démontrent à l’occasion une jolie maturité et une inventivité foisonnante pour lancer leur jeunesse à la rescousse des grands trop fatigués, vieillis ou dépassés. Ils feignent que la vie continue malgré tout, et n’ont en cela pas tout à fait tort. Il faut prendre les devants.

Ce qui laissait un peu sceptique, quant au surjeu de personnages ou la poursuite de plusieurs histoires en même temps, méli-mélo entre feedbacks et digressions ludiques, vient finalement faire corps avec le propos de la pièce. Ma mère est un poisson rouge raconte ce que pareille expérience du deuil a de désarmant pour l’être peu importe son âge. L’accentuation exagérée des comportements, amorphes ou surexcités, recouvre une tournure différente dès cette scène où Xavier est pris en flagrant délit par son ami à danser follement sur de la musique forte en pleine nuit. Outre l’absence de la mère, cloîtrée dans son aquarium de chambre, cet événement transforme l’excès en une forme de réaction plus ou moins saine. Il s’agit d’exorciser le mal, de s’en libérer, de se défouler tout en refoulant peut-être une partie du problème. Ces divergences de caractère entre individus, entre parents et enfants, et entre jeunes eux-mêmes, met alors en valeur le fait que chacun a besoin de temps pour face à une épreuve, et du choix d’exprimer sa douleur comme il l’entend et la ressent.

Il y a dans cette conclusion un certain message à l’adresse des parents, qu’un enfant frappé en pleine face par une telle réalité – outre toute l’affection, l’attention et l’appui qu’il nécessite – puise également dans son univers d’amis, de rêves et de héros, ses propres armes. Des réponses que lui seul peut trouver et qui ne peuvent pas venir d’en haut.

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